Première hypothèse

Avoir le pouvoir d'élaborer la régulation de l'action sur les réseaux

« Grandir avec et être partie prenante des espaces publics en réseau est compliqué. Les réalités auxquelles les jeunes doivent faire face ne cadrent pas bien avec les formules utopiques ou dystopiques, et éliminer la technologie ne résoudrait en rien les problèmes qu'ils rencontrent. Les espaces publics en réseau sont là pour longtemps. Au lieu de rejeter la technologie ou d'avoir peur de ce qui pourrait se passer quand les adolescents s'emparent des réseaux sociaux, les adultes devraient les aider à développer les compétences et les perspectives leur permettant de traiter positivement les complications qu'apportent le fait de vivre dans les espaces publics en réseau. Ensemble, jeunes et adultes peuvent créer un monde en réseau dans lequel ils aimeront tous vivre. » (C'est compliqué, Danah Boyd, 2016).

« [...] l'important n'est pas de vivre, mais de bien vivre » (Socrate dans le Criton de Platon)

« Sur son lit de mort, personne ne se dit : "J'aurais aimé passer plus de temps sur Facebook" » (Annabelle Laurent, Usbek & Rika, 2017, https://usbeketrica.com/article/sur-son-lit-de-mort-personne-ne-se-dit-j-aurais-aime-passer-plus-de-temps-sur-facebook)

Les dernières lignes de l'essai de Danah Boyd, que l'on élargira à tous les utilisateurs et utilisatrices des médias sociaux et pas seulement aux adolescents, posent clairement le problème : les médias sociaux font partie de notre milieu technique, il ne s'agit pas de les refuser ou de les adorer, mais de s'y adapter et de les adapter, pour bien y vivre. Il s'agit d'accepter que ces technologies nous constituent (ou nous configurent) - selon la thèse TAC défendue par « l'école de Compiègne », voir https://aswemay.fr/co/these-tac.html d'après Pierre Stiener (2010) - et qu'en retour on se donne les moyens de les configurer.

Cette équation suppose un rapport de force équilibré pour qu'un certain contrôle puisse s'opérer. Or la situation actuelle repose sur des outils centralisés et fermés (les médias aujourd'hui dominants que connaît le grand public, tels que Facebook, Instagram, Snapchat, Youtube ou Twitter), et ceux-ci imposent à leurs utilisateurs un contrat léonin en ce sens que ceux-ci doivent :

- en accepter les règles sans pouvoir les négocier (les CGU) ;

- se conformer au cadre technique sans pouvoir le modifier (algorithme et logiciel propriétaires).

Les CGU participent d'une éthique explicite (elles expliquent ce que l'on peut y faire), tandis que le logiciel participe d'une éthique implicite (ce que l'on y fait concrètement étant donné le cadre technique). On prend ici "éthique" au sens général (en dehors de tout cadre philosophique particulier) de « science qui traite des principes régulateurs de l'action et de la conduite morale » (TLFi).

Notre première hypothèse est que pour « créer un monde en réseau dans lequel ils aimeront tous vivre » les utilisateurs des médias sociaux doivent disposer d'une connaissance et d'un pouvoir sur les règles qu'ils entendent respecter et faire respecter. Les logiciels dominants proposent déjà un certain degré de paramétrage, bien entendu, mais l'on objectera que celui-ci reste limité à ce que l'éditeur du logiciel (unique propriétaire et hébergeur, rappelons-le, c'est d'importance ici) a décidé et que celui-ci peut le changer à tout moment, et donc qu'il conserve un pouvoir absolu.

Exemples de régulation de l'action (règles qui pourraient être souhaitées au niveau individuel)

- limiter le nombre de messages que je peux voir par jour ;

- ne pas voir de contenus associés à une liste de mots pré-définis ;

- refuser les réponses ou commentaires à mes propres contributions ;

- ne pas afficher les statistiques de consultation de mes productions ;

- connaître et choisir les règles de filtrage de mes recherches ;

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